Partie II Introduction Enjeux contemporains de la reference à un theatre populaire comme art de service public
Partie II. Introduction. a.

Enjeux contemporains de la référence à un théâtre populaire comme art de service public

L’actualité d’une formule polémique.

La polémique suscitée par l’édition 2005 du Festival d’Avignon peut s’appréhender nous l’avons vu 671
comme un conflit des héritages, et les positions des protagonistes ont souvent été renvoyées à des couples antagonistes :
théâtre de texte vs théâtre d’image,
esthétique du beau et du plaisir
vs esth-éthique de la violence et de la souffrance… et théâtre d’avant-garde vs théâtre populaire.
La polémique d’Avignon a de fait conduit à une reviviscence du débat autour du « théâtre populaire », prouvant que la formule était toujours bien vivante, à la fois au sens où certains la revendiquent explicitement et entendent l’actualiser, et au sens où elle ne fait pas l’unanimité.
Toujours remise en question et en chantier, elle ne semble donc pas fossilisée dans un usage figé et consensuel.
L’on a assisté depuis l’été 2005 à une floraison de débats publics questionnant cette formule.

La première rencontre « Après Avignon, le théâtre à vif », organisée au Théâtre de la Bastille en partenariat avec France Culture (avec entre autres Bruno Tackels, Marie-José Mondzain) le 15 octobre 2005, passait délibérément sous silence dans son titre la référence à un théâtre populaire jugé au mieux passéiste, au pire rongé par « le ver du populisme » comme le suggère l’un des articles du Cas Avignon 672 .
Cet ouvrage comme cette première rencontre tranchaient donc le débat au profit d’une réactivation de la notion d’avant-garde. En réponse se tint le 08 décembre 2005 à la Maison Européenne de la Photographie la rencontre Avignon 2005 : Et après ?
animée par Chantal Meyer-Plantureux et Régis Debray, avec les « pro-» 673
– favorables à la programmation du festival – Georges Banu et Bruno Tackels, pour lesquels la notion a tout simplement perdu toute signification, tandis que les « anti- », parmi lesquels Jean-Pierre Léonardini et Jean-Pierre Han, contestaient cette conception, revendiquant un théâtre populaire comme théâtre de service public et se réclamant d’un héritage critique de Jean Vilar. Mais « peut-on encore parler de théâtre populaire ? » Tel était le questionnement orchestré près d’un an plus tard, le 22 mai 2006, par Olivier Py et Jean-Michel Ribes dans le cadre de la Grande Parade de O. Py au Théâtre du Rond-Point en juin 2006 (avec Christian Esnay, Denis Guénoun, Jean-François Sivadier). Le cadre de la Fête de l’Humanité semblait propice à une posture plus affirmative, aussi le débat qui y fut animé le 17 septembre 2006 par Marie-José Sirach entourée de Marie-José Mondzain, Jean-Pierre Léonardini et Eric Lacascade, s’intitulait-il « Théâtre populaire : mythe, utopie, réalités ». Mais c’est cependant le doute quant à l’actualité de la référence qui paraît dominer aujourd’hui, ce dont témoigne l’omniprésence de la formulation interrogative, visible encore dans la dernière rencontre recensée à ce jour, « Un théâtre populaire est-il encore d’actualité ? », qui a eu lieu au Centre Dramatique National de Montreuil le 19 octobre 2006 (avec Catherine Marnas, Irène Bonnaud, Bruno Tackels, Christian Esnay, Bertrand Ojilvie) dans le cadre de la programmation de Sainte-Jeanne des Abattoirs par Catherine Marnas. La polémique d’Avignon nous paraît emblématique de l’état des lieux du « théâtre populaire », et plus exactement, de la référence au théâtre populaire comme discours de légitimation du théâtre. Le camp des détracteurs rejette la formule tant pour des raisons esthétiques – préférence pour l’avant-garde – que pour des motifs idéologiques – le populaire serait toujours condamné à sombrer dans le populisme. A l’inverse, d’autres artistes revendiquent la filiation avec l’illustre lignée vilarienne, mais sont tout à fait conscients de la difficulté à incarner l’idéal du théâtre populaire aujourd’hui, ce qui explique sans doute l’omniprésence de la posture réflexive.

Notes
671.

Voir supra, partie I, chapitre 4, 3. c.
672.

Jean-Pierre Tolochard, « Le ver du populisme », Georges Banu et Bruno Tackels (sous la direction de), Le Cas Avignon, Vic La Gardiole, L’Entretemps, 2005, p. 97.
673.

Nous reprenons ici par commodité la désignation qui se fit jour alors :
les « pro-» étant favorables à la programmation du Festival, par opposition aux « anti-».

Partie II. Introduction. b.

Une formule polysémique selon les utilisateurs et selon les époques

Au-delà de l’effervescence conjoncturelle, le nombre de ces rencontres témoigne ainsi de la vivacité des réflexions autour de la formule, mais aussi des ambiguïtés qui l’entourent.
S’impose le constat initial d’une omniprésence de la référence au « théâtre populaire » parmi les artistes, les critiques, mais également celui d’une certaine familiarité du public de théâtre voire du grand public avec le terme. Au sein de la galaxie de formules connexes à celle de « théâtre politique », celle de « théâtre populaire » peut ainsi paraître de prime abord la plus universelle de toutes, car employée par le plus de catégories d’utilisateurs, mais tous ne désignent en réalité pas le même objet.
Les chercheurs renvoient à une réalité historique, qu’ils tentent de circonscrire, de dater et d’appréhender dans son évolution et sa complexité, tandis que les artistes, le public et le grand public font jouer la référence en termes de valeur, le plus souvent associée au nom de Vilar et/ou à l’idée d’un théâtre de service public, parfois à ceux de Copeau, du Cartel ou de Rolland, et à l’idéal du Théâtre du Peuple de Bussang, toujours en activité aujourd’hui. 674
L’expression sert parfois alors le culte nostalgique d’un âge d’or au nom duquel juger – et sévèrement encore – le présent, et l’histoire se fait en ce cas volontiers mythe.
La formule est enfin utilisée par les pouvoirs publics, car elle sert aujourd’hui encore de fondement au financement public du théâtre.

Or l’idéal de démocratisation de l’accès au théâtre, qui avait présidé à son institutionnalisation comme service public, a fait long feu depuis des années, et la situation est telle à présent que se pose avec une acuité sans précédent la question de la légitimité du financement public, quand seulement 16 % de la population va au théâtre. 675
C’est ce facteur essentiel qui explique qu’après l’élargissement massif de la notion de culture et « l’idéologie esthétique » 676 des années 1980, les années 1990 soient celles d’une réaffirmation du « théâtre populaire » tant par les pouvoirs publics que par certains artistes reconnus dans l’institution.
Deux moyens essentiels sont ainsi convoqués, d’une part l’articulation des formules « théâtre d’art » et « théâtre populaire » soucieux de sa vocation de service public, et d’autre part l’élargissement des territoires de l’action culturelle prise en charge par les pouvoirs publics.

Notes
674.

Bien que le Théâtre du Peuple de Bussang soit régi par une association loi 1901, et ne s’inscrive pas directement dans l’institution théâtrale, il bénéficie de subventions des DRAC et le bâtiment est propriété de l’Etat. De plus, ce théâtre dont les créations sont toujours issues d’une collaboration entre amateurs et professionnels, s’inscrit de plus en plus fortement depuis la fin des années 1990 dans le paysage théâtral institutionnel français, par le biais de ses directeurs et des metteurs en scène qu’il accueille. Citons comme hôtes du Théâtre du Peuple de Bussang des metteurs en scène comme Olivier Py, Cécile Garcia-Fogel, Jean-Yves Ruf, Joël Jouanneau, des pièces de Biliana Srbljanovitch ou Hanoch Levin, des spectacles d’élèves du TNS. Les mises en scène de Christophe Rauck, directeur du Théâtre de Bussang de 2003 à 2006, sont jouées régulièrement au Théâtre de la Cité Internationale à Paris, et son prédécesseur François Rancillac est un auteur et un metteur en scène connu et reconnu. On peut toutefois souligner le décalage qui se fait jour entre les versions des spectacles créées sur place et celles, uniquement composées de professionnels, qui partent en tournée.
675.

Source : Janine Cardona et Chantal Lacroix, Les Chiffres clés de la culture, Paris, La Découverte, 2006.
676.

Formule de Philippe Ivernel, in « Postface », in Paul Biot, Henry Ingberg et Anne Wibo (études réunies par), Le théâtre d’intervention aujourd’hui, Etudes Théâtrales, n°17, 2000, p. 138.

Partie II. Introduction c.

La cité du théâtre politique œcuménique

Cette cité distingue l’engagement artistique et l’engagement politique, et privilégie le premier sur le second, aussi son principe supérieur commun, que l’on pourrait synthétiser par la formule « théâtre d’art-service public », repose sur une inscription dans l’histoire théâtrale, et non sur un pessimisme anthropologique et politique radical comme dans la cité du théâtre postpolitique. Le théâtre est défini comme un art ontologiquement politique, mais essentiellement en ce qu’il rassemble une communauté et en ce qu’il s’inscrit dans le cadre de l’action publique par les pouvoirs politiques. Sa dimension politique tient à sa définition du peuple comme ensemble de la communauté des citoyens d’une nation. On a beaucoup défini ce théâtre comme un théâtre qui rassemble. Il nous paraît plus précis encore de le définir comme un théâtre œcuménique. L’œcuménisme désigne originellement le mouvement favorable à la réunion de toutes les Églises chrétiennes en une seule 677 , ce qui suggère certes l’idée de rassemblement et d’aspiration à l’universel, mais au sein d’une communauté fondée sur un principe d’exclusion – puisque le rassemblement se fait uniquement pour les églises chrétiennes. La transposition au théâtre politique fonctionne à la fois du fait de la référence à la sphère religieuse, qui n’est pas absente de la définition de la culture et du théâtre à l’œuvre dans cette cité, et de la définition du politique qui y a cours –centrée sur la déclaration universelle des droits de l’homme.

Pour cerner au plus près la composition de la cité du théâtre politique œcuménique, il nous paraît nécessaire de commencer par un retour en arrière, afin de comprendre les deux morceaux d’histoire théâtrale en forme de mythes fondateurs sur lesquels se fonde le théâtre politique œcuménique :
le théâtre antique d’une part, l’âge d’or du « théâtre populaire » de la fin du XIXe siècle aux années 1960 de l’autre.
Se dégage de cette histoire mythifiée une conception du théâtre comme service public destiné à l’ensemble des citoyens et comme un art « ontologiquement politique », par opposition à la définition de la politique et du théâtre politique à l’œuvre dans la quatrième cité (chapitre 1).
Cette conception débouche sur une définition paradoxale de l’artiste, qui centre ses spectacles sur la quête esthétique mais se définit par ailleurs comme citoyen engagé doté d’un rôle politique spécifique au sein de la Cité.
Dans cette mesure, l’évolution de la situation politique nationale, européenne et internationale depuis 1989, constitue un élément clé de compréhension de cette cité, comme nous le verrons ensuite (chapitre 2) avant de nous concentrer sur les œuvres proprement dites produites durant cette période par cette cité qui fait sienne la formule de « théâtre d’art » (chapitre 3).

Notes
677.

Dictionnaire Le Petit Robert de la langue Française, p. 1769.

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