Partie IV. Chapitre 1. Reformulations du projet critique et des luttes politiques depuis 1989
Partie IV.

Chapitre 1.
Reformulations du projet critique et des luttes politiques depuis 1989


Nous avons vu dans notre première partie que la fin des années 1980, et particulièrement l’effondrement de l’Empire Soviétique en 1989, ont été largement interprétés par nombre d’observateurs comme le versant politique de l’effondrement du projet révolutionnaire. Toutefois coexiste une autre interprétation de l’événement et conséquemment de l’ère qui s’est ouverte alors, et cette dernière, si elle n’est pas dominante, n’en est pas moins active, et constitue le soubassement de la cité du théâtre de lutte politique. Après une présentation de cette interprétation alternative des événements marquants de la période 1989-2007, nous verrons comment elle s’articule à une définition spécifique de l’art considéré comme composante du projet critique et de la lutte politique pour l’émancipation individuelle et collective.

1. Une interprétation alternative de la période ouverte en 1989

L’on peut considérer que les événements de 1989 coïncident non pas avec l’effondrement de la perspective révolutionnaire mais avec une réorganisation de la lutte politique, de ses enjeux comme de ses modalités. Si les anciens modèles de lutte politique paraissent pour partie obsolètes, nous allons voir qu’ils nourrissent néanmoins ceux qui se reforment, tant en termes idéologiques qu’organisationnels et en termes de personnels impliqués. Cette continuité de la perspective révolutionnaire au-delà de ses reformulations, aussi profondes soient-elles, découle d’une définition restrictive de la politique entendue comme processus d’émancipation, et la lutte politique se définit encore et toujours en lien à une théorie critique, quoique cette dernière ait évolué autant que les modalités de son articulation à la lutte politique proprement dite.

a. 1989. Effondrement du modèle révolutionnaire
ou avènement d’une nouvelle ère de contestation ?

i. La Chute de l’Empire soviétique et le Bicentenaire de la Révolution :
deux événements ambivalents


La Chute de l’Empire Soviétique constitue un effondrement politique 1922 ainsi que le dernier coup porté à un monde idéologique, mais elle a pu être interprétée par certains comme l’espoir d’un renouveau du projet philosophique critique et du projet politique auxquels l’Empire Soviétique était censément articulé. Ainsi, Noam Chomsky estime que « cet effondrement représentait, paradoxalement, une victoire pour le socialisme. Car le socialisme […] implique au minimum […] le contrôle démocratique de la production, des échanges et des autres dimensions de l’existence humaine. » 1923 De fait, la théorie critique va poursuivre son chemin et de nouvelles formes de contestation vont poindre après – et dans une certaine mesure à partir de – 1989. Et le Bicentenaire de la Révolution – l’événement national qui précède le choc international – va précisément marquer le renouveau de la contestation à cette double échelle. Les cérémonies du Bicentenaire sont certes l’occasion d’une célébration ambivalente des acquis de la Révolution Française 1924 , mais elles sont également l'occasion d'une remise en cause du règne mitterrandien. Après l'euphorie de l'alternance en 1981, qui succédait à vingt-trois années de règne de la droite, les conditions de la réélection de François Mitterrand en 1988 ont été plus troubles et les causes de la victoire plus complexes, après le premier septennat de « socialisme réel » mitterrandien. En 1988 le président sortant joue habilement d'une situation assez maussade et a priori défavorable à son parti. Dès 1983 le chômage augmente, du fait de la conjoncture économique, mais aussi de facteurs imputables aux socialistes, comme la politique de privatisation d'entreprises nationales, de spéculation financière. Face à contexte économique, ainsi qu’aux premières fuites révélant la corruption de l'entourage présidentiel, la stratégie du Parti Socialiste va consister à détourner l'attention des échecs politiques de son camp pour la focaliser sur Jacques Chirac, Premier Ministre depuis 1986 – et lui imputer une partie de ces échecs. De même Mitterrand va contribuer à mettre sur le devant de la scène un ennemi, Jean-Marie Le Pen, brandi comme le spectre de l'extrême droite et plus lointainement du fascisme rampant, permettant ainsi de resserrer les rangs à gauche. Mais, si un front s'unit le temps de la campagne contre la droite et l'extrême droite, le désamour gagne du terrain.

Et la célébration du Bicentenaire, qui coïncide avec le sommet du G7 à Paris, donne lieu à diverses manifestations pour l'annulation de la dette du Tiers Monde, dans lesquelles on peut voir les prémices de l'altermondialisme français, mais qui sont aussi l'occasion d'un bilan en forme de remise en cause de la politique réelle menée par les socialistes à l'aune des principes clamés en 1981. Le 08 Juillet a lieu un défilé de rue politique et festif, sous le slogan : « Ca suffat comme ci ». La journée s’achève sur un concert de Renaud et Johnny Clegg, précédé d'un discours de Renaud qui témoigne de l'évolution de l'ancien soutien aussi médiatique que sympathique à l’égard de « Tonton » : « Cette année, nous devions célébrer les sans-culottes d'hier […] Eh bien nous fêterons ceux d'aujourd'hui : les sans-pain, les sans-travail, les sans-joie, les sans-espoir, les sans-lumière. » 1925 Les manifestations ne consistent pas uniquement en un rejet du Mitterrandisme et de la politique interne à la France, et la contestation comporte un volet plus global. Le 15 Juillet se réunit un sommet alternatif à la réunion du G7. 1926 Ce contre-sommet fait alterner ateliers réunissant des économistes, des représentants d'ONG, et témoignages de victimes de la dette. 1927 Le point d'orgue en est un « sommet de sept peuples parmi les plus pauvres » réunissant des acteurs du Sud venus témoigner des effets de la dette sur leurs conditions de vie. Les journalistes de l'époque sont frappés par cette prise en compte nouvelle du niveau international :
‘« Le Tiers État d'aujourd'hui, c'est le Tiers Monde ». « Les héros sont de retour, Che Guevara, Sandino, Nelson Mandela, Eloi Machoro. Les Basques, les Kurdes, le Comité de soutien au peuple tibétain défilent devant la CGT des correcteurs ou les ouvriers de Longwy. En boubou, enfants accrochés dans le dos, des Africaines tapent sur des bidons vides. » 1928 ’

Notes
1922.

Voir supra, partie I, chapitre 1, 1.
1923.

Noam Chomsky, « Le lavage de cerveaux en liberté », Le Monde Diplomatique, août 1989.
1924.

Voir supra, partie 1, chapitre 2, 1.
1925.

Cité par Eric Agrikoliansky, « Du tiers-mondisme à l'altermondialisme : genèse(s) d'une nouvelle cause », in L'altermondialisme en France, La longue histoire d'une nouvelle cause, Eric Agrikoliansky, Olivier Fillieule, Nonna Mayer, Flammarion, 2005, p. 49.
1926.

Sur le modèle de ce qui a été fait pour la première fois en 1984 à Londres : le TOES (the other economic summit).
1927.

Le choix de la gauche du socialisme français de se focaliser sur la dette peut s'expliquer par le fait qu'il s'agit là d'un « enjeu lointain, gommant temporairement les divergences de politique intérieure, aux implications familières pour les différents courants du marxisme (l'anti-impérialisme notamment) et aux résonances apolitiques (la solidarité, la lutte contre la misère), cette mobilisation peut se décliner sur autant de registres qu'on recense de groupes de participants. L'antiracisme et la lutte contre l'apartheid […] représentent de plus des thèmes particulièrement mobilisateurs, dans un contexte où l'extrême droite constitue le principal pôle d'identification négative pour réaffirmer la consistance de la catégorie de gauche. » Et enfin « le succès de l'action humanitaire et plus largement l'écho médiatique des grandes campagnes de solidarité à l'égard du tiers-monde, en particulier celles qui mobilisent des rock stars anglo-saxonnes (du concert du Band Aid à la campagne que mène le chanteur Sting pour les indiens d'Amazonie) ont contribué à instituer la solidarité internationale en forme « moderne » et donc attractive, d'action. » Eric Agrikoliansky, op. cit., p. 55
1928.

Anne Chemin, Corine Lesnes et Edwy Plenel, « La fête des sans-culottes », Le Monde, 11 Juillet 1989.

ii. Les prémisses d'une critique
d'échelle mondiale par « la gauche de la gauche »


Ce que récusent les manifestants, c’est ce qu’ils considèrent être un amalgame fait par les tenants officiels du Bicentenaire comme par les dirigeants rassemblés pour le G7 et une majorité des faiseurs d’opinion (élites politiques, médiatiques et intellectuelles), entre démocratie et économie de marché. L’une des images marquantes de la chute du Mur fut en effet celle des citoyens est-allemands déferlant sur Berlin-Ouest pour se transformer en consommateurs occidentaux. De même, dès le mois de janvier 1990, les premières enseignes publicitaires du géant britannique de la publicité Saatchi & Saatchi commencent à recouvrir des pans du Mur de Berlin, reconverti en un gigantesque et lucratif panneau d’affichage. 1929 Les médias relayent l’idée d’une fin de l’histoire et de la révolution, et les différents événements internationaux, dont la portée révolutionnaire paraît pourtant manifeste, vont tous être interprétés comme preuve du désir universel de rejoindre le grand et unique modèle de la démocratie libérale (l’adjectif valant au sens économique et politique.) François Furet se réjouit ainsi du fait que « nous voilà tous réintégrés dans l’équation libérale », lui qui considère que le communisme n’a été qu’une tentative échouée pour « séparer ces deux destins de l’individu moderne, capitalisme et démocratie. » 1930 Lier ainsi la destinée du capitalisme et celle de la démocratie a pour intérêt évident d’invalider par avance toute critique du capitalisme en la faisant passer pour anti-démocratique, et c’est contre cette réduction forcée du champ de la critique que l’extrême-gauche va se ressouder. Les cérémonies du Bicentenaire en Juillet 1989 fonctionnent comme une occasion qui permet aux différents acteurs de « la gauche de la gauche » désillusionnés par « la gauche au pouvoir », de se coaliser contre les fastes du mitterrandisme et la raison d’État. C'est le moment où commence à s'agglomérer une nébuleuse disparate d'organisations autour de la réaffirmation d'un idéal révolutionnaire qui veut actualiser le potentiel contenu dans la belle et exigeante devise de la République Française. C'est en cela que l'on peut considérer que les manifestations de 1989 constituent le point de départ d'une configuration nouvelle d'acteurs associant partis politiques (communistes, trotskistes, écologistes), syndicats, mouvements chrétiens de gauche, mais aussi militants d'organisations humanitaires et défenseurs des droits de l'homme : « Militants communistes et d'extrême gauche avancent au coude à coude, protégeant une première ligne où Maxime Gremetz, du bureau politique du PCF, côtoie Alain Krivine, de celui de la LCR, qui lui-même donne le bras à l'évêque d'Evreux, Monseigneur Jacques Gaillot. » 1931

En 1989 l'échiquier politique se complexifie et s'étoffe sur sa gauche, à mesure que le Parti Socialiste « gestionnaire » se décale vers le centre et que le PCF et la LCR traversent une crise. Et c’est cette « crise matérielle et symbolique » 1932 des années 1980, qui affecte les organisations de gauche classiques, qui « fournit l'infrastructure sur laquelle se reconstruit la radicalité dans la décennie qui suit. » 1933 La structuration idéologique de la « gauche de la gauche » et de sa traduction politique prend une tournure inédite dans le « mouvement social », nouvel acteur collectif qui va se cristalliser au cours des années 1990, mêlant les organisations anciennes – politiques et syndicales –, y compris celles qui étaient autrefois divergentes (LCR et PCF, tiers-mondistes et anti-impérialistes), aux formes émergentes, notamment les « formes d'engagement à distance mais sans référence politique centrale, comme l'humanitaire » 1934 , dans la lutte contre le nouvel ennemi commun, la mondialisation néolibérale. C’est en ce sens que
‘« l'altermondialisme offre un espace cognitif propice à la reconversion de causes anciennes qui y trouvent de nouveaux alliés tout en conservant leur spécificité. Comme l'illustre le cas français, l'altermondialisme n'est pas le produit mécanique d'évolutions internationales qui s'imposeraient directement aux acteurs nationaux. Ce sont plutôt les transformations politiques internes qui conditionnent le renouveau des mouvements protestataires dans la France des années 1980 et 1990, dont les luttes altermondialistes ne constituent qu'une facette. » 1935 ’

Notes
1929.

François Cusset, La Décennie. Le grand cauchemar des années 1980, Paris, La Découverte, 2006, p. 153.
1930.

François Furet, « Les feuilles mortes de l’utopie », Le Nouvel Observateur, 26 avril-2 mai 1990.
1931.

Anne Chemin, Corine Lesnes et Edwy Plenel, « La Fête des sans-culottes », Le Monde, 11 Juillet 1989.
1932.

Eric Agrikoliansky, op. cit., p. 73.
1933.

Idem.
1934.

Idem.
1935.

Idem.

b. Réorganisations et nouveaux enjeux
de la lutte politique entre 1989 et 2007.

i. 1995, 1997-1998 :
Vers une refondation du mouvement social dans l’altermondialisme ?


La grève générale des services publics en décembre 1995 1936 est déclenchée par le contenu du Plan Juppé, visant une refonte du système de protection sociale et de retraite des fonctionnaires, ainsi que par les méthodes gouvernementales d'imposition de la décision. Mais il s'agit également d'un mouvement anti-européen au moins autant qu'altermondialiste, lié à la signature du Traité de Maastricht en 1992. Pierre Bourdieu a ainsi interprété le combat des grévistes comme la volonté de préserver le niveau étatique contre « la tyrannie des experts » 1937 des instances supranationales « type Banque Mondiale et FMI, qui imposent sans discussion les verdicts du nouveau Léviathan, "les marchés financiers", qui n'entendent pas négocier mais expliquer » 1938 , et donc, fondamentalement, comme un mouvement de « reconquête de la démocratie contre la technocratie ». 1939 Puis, fin 1997, c’est L'AMI qui relance la machine de la contestation. L’Accord Multilatéral sur les Investissements, en négociation depuis 1995 dans le cadre de l'OCDE,
‘« consiste dans la libéralisation des conditions d'investissement des firmes multinationales sur les territoires des pays qui signent l'accord, donnant même la possibilité aux entreprises de traduire en justice les États si les conditions de concurrence entre les entreprises subissent une distorsion sur le territoire considéré. De fait, la signature de l'AMI équivaudrait à une perte de pouvoir importante des États, au profit notamment des firmes multinationales. » 1940 ’

La contestation est certes moins ample qu’en 1995, mais néanmoins conséquente, et c’est cette fois le monde culturel qui se trouve à la pointe du combat, car l'AMI est perçu comme une grave menace contre le principe d'exception culturelle. Le mouvement des sans 1941 , qui commence à s'étendre à une échelle supra-étatique, européenne ou transnationale, s'investit également. Intellectuels, artistes et précaires s'unissent donc une fois de plus mais avec un objectif de fond plus conscient, estimant qu'au-delà des différences en termes d'appartenance sociales et de capital culturel, leur cause est commune, fondée et soudée par l'opposition au modèle émergeant de la mondialisation néolibérale. Ce front se dessine d'autant plus nettement que cette année voit également la création de l'association ATTAC, suite à la parution d’un éditorial d’Ignacio Ramonet dans Le Monde diplomatique intitulé « Désarmer les marchés », en décembre 1997. Après avoir dénoncé l’État mondial et le pouvoir sans société qu’incarnent le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, l’OCDE et l’AMI, l'éditorialiste conclut par un appel à s’organiser au niveau mondial et à « créer, à l’échelle planétaire, l’organisation non gouvernementale Action pour une taxe Tobin 1942 d’aide aux citoyens - ATTAC - [...], [un] impôt mondial de solidarité ». L'acronyme va signifier ensuite l’Action pour une Taxation des Transactions financières pour l’Aide aux Citoyens, insistant donc sur l'idée d'une citoyenneté macroscalaire, détachée de l'échelle nationale et en phase avec le « système-monde » 1943 . L’association est aussi l'occasion d'une utilisation alternative des nouveaux médias puisqu'elle se constitue notamment sous forme d’un débat sur Internet. Ayant déposé ses statuts le 3 juin 1998, ATTAC va devenir l’un des fers de lance de la contestation altermondialiste, qui se densifie au fil des forums sociaux mondiaux et européens. Le contre-sommet de Gênes du G7 en 2001, du fait de la violence de la répression policière, marque une étape du mouvement altermondialiste, avant qu’à l’échelle nationale proprement dite, la contestation sociale ne se ravive avec le conflit des intermittents durant l’été 2003, puis la mobilisation contre le référendum sur la constitution européenne en 2005, et contre le CPE au printemps 2006. Les émeutes dans les banlieues à l’automne 2005 attestent que les relations entre les différents groupes sociaux sont tous sauf apaisées et que la conflictualité règne en maîtresse, bien que celle-ci n’atteigne pas nécessairement le statut de lutte politique. La contestation sociale ne peut selon nous recevoir l’appellation de lutte politique que dans la mesure où les personnes impliquées formulent les problème en des termes politiques et articulent leur action (parfois violente) à une revendication politique. Ce qui soulève deux séries de questions, la première ayant trait à la composition de la population en lutte, et la seconde à la définition précise de ce qu’il faut entendre en ce cas par « lutte politique » et, subséquemment, par « politique ».

Notes
1936.

« Les grèves de décembre 1995 : Un moment fondateur ? », Jean-Gabriel Contamin, ibid, pp. 233-263.
1937.

Pierre Bourdieu, « Contre la destruction d'une civilisation », intervention à la Gare de Lyon en décembre 1995, reprise in Contre-feux, Paris, Liber, Raisons d'agir, 1998, p. 31.
1938.

Idem.
1939.

Idem.
1940.

Daniel Mouchard, op. cit., p. 317.
1941.

Voir supra, partie II, chapitre 2, 3, a.
1942.

James Tobin prix Nobel d’économie américain, proposa dès 1972 une taxe modique sur toutes les transactions des marchés des changes destinée à la fois à stabiliser ces transactions et à procurer des recettes à la communauté internationale.
1943.

Michael Hardt, Antonio Negri, Empire, Paris, Exil, 2000.

iii. Nouveaux visages et nouveaux enjeux
de la lutte politique





c. Lutte politique et définition restrictive de la politique
comme processus de montée en généralité et conflictualisation


Nous avons distingué plus haut la lutte politique de la lutte sociale, en considérant que la première, qui nous paraît caractéristique de la cité du théâtre de lutte politique, est conditionnée à une articulation entre telle cause ponctuelle et une remise en question globale, tandis que la seconde, à l’œuvre dans la cité du théâtre politique œcuménique et dans la cité de refondation de la communauté théâtrale et politique, peut se satisfaire du niveau local, et ne nécessite pas la désignation d’un ennemi, pouvant se concentrer sur les victimes. Il importe de justifier à présent ce parti pris. Dans notre introduction et au cours de nos parties précédentes, nous avons déjà mentionné différentes définitions de la politique : la politique entendue comme ensemble des affaires de la Cité discutées dans et par le débat démocratique et la politique de la pitié, deux définitions actives au sein de la cité du théâtre politique œcuménique ; la politique comme vivre ensemble qui fonde la cité de refondation de la communauté politique ; tandis que la cité du théâtre postpolitique se fonde quant à elle sur un pessimisme anthropologique et politique radical qui articule donc a contrario la politique à un espoir de changement positif. Et il semble que la cité du théâtre de lutte politique prenne pour définition le revers de cette sombre médaille, et active une définition de la politique entendue comme processus d’émancipation de l’homme et de transformation de la société. Un détour par la science politique va permettre de mieux cerner les contours de cette autre définition de la politique. Au terme de nombreux et âpres débats, et pour sortir de l’alternative entre une définition légitimiste restreinte centrée sur le champ politique institué 1966 et une définition trop lâche qui dilue le politique dans le social, certains politologues élaborent aujourd’hui une définition de la politique centrée sur la notion de politisation, processus qui a lieu « quand l’individu voit dans une situation non pas le lieu d’un désaccord mais celui d’un clivage entre deux façons de voir le monde. » 1967 Cette approche a pour fondement « un invariant anthropologique » 1968 , l'existence du conflit dans toute société. « Il n’existe pas de société humaine sans tensions ni conflit (...) Une société ne peut exister sans des procédés de résolution des tensions, de règlement des conflits, que ces procédés soient ou non violents et coercitifs. » 1969 Quelle que soit la variété des formes d'organisation sociale (État ou non, démocratie ou système totalitaire…), « il n'y a pas de société sans conflit, les différences entre les sociétés tenant aux modes de résolution des conflits adoptés. » 1970 En ce sens, la politique serait définie par sa fonction, comme ce qui a pour tâche de formuler et de gérer les conflits sur le plan collectif : « le politique se repère essentiellement par sa fonction, qui est la régulation sociale, fonction elle-même née de la tension entre le conflit et l’intégration dans une société. » 1971 Dans leurs récents travaux sur les nouvelles modalités de repérage du politique, partant du principe selon lequel la référence au champ politique institutionnel ne suffit pas à ce qu’on puisse parler de politisation 1972 , Florence Haegel et Sophie Duchesne distinguent deux dimensions de la politisation, d’une part le rapport aux acteurs du système politique et aux logiques qui les animent, et d’autre part la prise de position sur les lignes de partage fondamentales de la société. 1973 Le politique est ainsi repéré en tant que processus de politisation, processus double qui suppose à la fois la conflictualisation d’une situation (le fait d’appréhender la situation comme un conflit opposant donc différents « camps », qu’il s’agisse de positions ou plus concrètement de groupes d’individus) et, d’autre part une « montée en généralité », expression reprise à Luc Boltanski et Laurent Thévenot 1974 par laquelle est désigné le fait qu'un locuteur dépasse le caractère individuel ou anecdotique de son récit pour conférer à son propos une portée plus générale. Pour Sophie Duchesne et Florence Haegel, il n’y a politisation que si les deux dimensions sont réunies 1975 . Avant de voir dans quelle mesure une telle définition de la politique peut être transposée au théâtre politique, il importe donc de voir comment s’opère concrètement la prise de conscience au niveau de l’individu comme du groupe, autrement dit d’étudier l’articulation entre la lutte et la réflexion sur la lutte, le métadiscours qui articule la défense de telle cause en particulier à une lutte plus générale entre différents camps.

Notes
1966.

Voir supra, Introduction, 3, a.
1967.

Nous nous appuyons ici sur la synthèse réalisée par Camille Hamidi dans le chapitre théorique de sa thèse. Camille Hamidi, Les effets politiques de l’engagement associatif : le cas des associations issues de l’immigration , Thèse de Doctorat de Science Politique, sous la direction de Nonna Mayer, Institut d'Etudes Politiques, Paris, décembre 2002. Thèse à paraître aux éditions Economica en 2008, p. 441.
1968.

Ibid, p. 439.
1969.

Jean William Lapierre cité par Pierre Braud, Sociologie politique, Montchrestien, 1993.
1970.

Camille Hamidi, op. cit., p. 439.
1971.

Jean Leca, « Le repérage du politique » , Projet n°71, janvier 1973, p. 11-24.
1972.

L’argument avancé tient au fait que des individus peuvent faire référence à des acteurs politiques/ partis/ institutions, de façon non politisée et qu'inversement il peut y avoir processus de politisation sans que ces lieux et acteurs institutionnels entrent en jeu.
1973.

Florence Haegel et Sophie Duchesne, « Entretiens dans la cité, ou comment la parole se politise », in « Repérages du politique », sous la direction de Florence Haegel et Sophie Duchesne, Espaces Temps 76/77, 2001, pp. 95-109.
1974.

Luc Boltanski et Laurent Thévenot De la Justification, nrf Gallimard, 1991.
1975.

C. Hamidi, op. cit., p. 443.

d. La complexe question de l’articulation
de la théorie critique à la lutte politique


La décennie 1990 correspond donc à une réorganisation de la lutte politique au sein de ce que l’on nomme de plus en plus le mouvement social, qui manifeste des modifications dans les enjeux comme dans les modalités de la lutte. Cette lutte concrète s’articule étroitement avec une reformulation du projet critique – le comité scientifique d’ATTAC et de la fondation Copernic sont ainsi composés d’éminents universitaires et intellectuels. Pour saisir les postulats de l’articulation entre les intellectuels et le mouvement social, il nous semble nécessaire de rappeler l’apport décisif de l’École de Francfort dans la détermination de la posture du penseur et de l’artiste. En effet, alors que la cité du théâtre postpolitique se fonde sur une définition du politique marquée par la rupture d’avec le projet critique de l’École de Francfort – lui-même héritier critique du projet marxiste – la cité du théâtre de lutte politique s’inscrit dans la réaffirmation qu’un tel projet est à la fois nécessaire, pensable et possible, comme l’est la lutte politique. Au-delà des spécificités propres à chacune des différentes générations et à chacun des représentants de cette École, cet apport peut être considéré comme double, ainsi que le rappellent Emmanuel Regnault et Yves Sintomer dans la somme qui sans fard pose la question : Où en est la théorie critique aujourd’hui ? 1976 Citant Horkheimer, qui caractérisait l’attitude critique par « une méfiance absolue à l’égard des normes de conduite que la vie sociale, telle qu’elle est organisée, fournit à l’individu » 1977 , ils ajoutent qu’elle consiste dans une articulation des problèmes particuliers de la vie sociale à une remise en question du système global dans lequel ils prennent place. 1978 Ainsi, la théorie critique constitue « l’aspect intellectuel du processus d’émancipation » 1979 et participe au « combat pour l’avenir », partant du principe que « l’avenir que l’on veut construire est déjà vivant dans le présent ». 1980 C’est en ce sens que la théorie critique telle qu’elle se constitue au sein de l’École de Francfort à la fois réaffirme le postulat de la théorie marxiste traditionnelle d’une articulation de la philosophie et de la recherche à la lutte politique, mais rompt également avec l’orthodoxie marxiste, en ce qu’elle « abandonne […] l’espoir, caractéristique des Lumières, d’un progrès de la raison qui se répercuterait naturellement dans l’histoire et se conçoit au contraire comme un instrument devant contribuer activement à cette rationalisation. » 1981 Cette rupture s’explique par la prise en compte des « événements de l’histoire qui semblaient infirmer le postulat d’une marche révolutionnaire vers l’émancipation » 1982 , et l’apport décisif de l’École de Francfort à la théorie critique tient au fait qu’elle entend « expliquer pourquoi le prolétariat, loin de réaliser sa mission historique, se trouvait toujours plus intégré à l’ordre capitaliste. » 1983 Et pour ce faire, les théoriciens de l’École de Francfort éprouvent la nécessité d’une ouverture aux sciences empiriques – la psychanalyse, l’histoire et la sociologie. Certes, l’interdisciplinarité ne débouche finalement pas sur la création d’une « philosophie sociale [globale] de l’émancipation », et en ce sens le projet critique n’aboutit pas en tant que projet global et cohérent. C’est donc uniquement à partir de la critique d’objets particuliers qu’est conduite la critique sociale globale, et c’est ainsi le « renouveau d’une sociologie orientée vers la critique » qui, au cours des années 1990, participe en retour à celui du projet critique en France notamment, avec les travaux de Bourdieu (La Misère du monde en 1993), de Robert Castel (Les Métamorphoses de la question sociale en 1995), de Christophe Dejours (Souffrance en France, 1998) et de Luc Bolstanski et Eve Chiapello (Le Nouvel Esprit du capitalisme, 1999). Ces travaux semblent tous hériter, explicitement ou non, de la reformulation du projet critique par Jürgen Habermas et Axel Honneth. Ces deux théoriciens de la seconde génération de L’École de Francfort avaient pris acte de la faiblesse du projet critique initial, qui s’appuyait sur une philosophie de l’histoire fondée sur le progrès de la raison, et qui laissait une place exorbitante mais non justifiée au prolétariat considéré comme « incarna[tion de] l’intérêt de l’humanité à l’émancipation. » 1984 Au contraire, J. Habermas et A. Honneth entendent « élaborer un fondement théorique alternatif » adapté au « cadre de sociétés capitalistes et de démocraties représentatives stabilisées. » 1985 Les années 1990 coïncident donc avec un renouveau de la théorie critique et particulièrement avec un renouveau de la question de l’articulation du projet critique mené par les chercheurs avec la lutte politique. Bourdieu joue ainsi un rôle direct dans les grèves de 1995, et les travaux de Christophe Dejours, de Robert Castel, de Luc Boltanski et de Eve Chiapello, à des degrés plus divers certes, ont contribué à la réflexion et au discours des militants, mais aussi à ceux des artistes, et cette période est également marquée par une reviviscence du débat sur l’articulation entre l’art et la lutte politique, dans la tradition là encore du projet critique formulé par l’École de Francfort, qui comportait un important volet esthétique.

Notes
1976.

Emmanuel Regnault et Yves Sintomer, « Introduction », in Emmanuel Regnault et Yves Sintomer, Où en est la théorie critique aujourd’hui ?, Paris, La Découverte, 2003.
1977.

Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, 1974, p. 38.
1978.

Emmanuel Regnault et Yves Sintomer, op. cit., p. 12.
1979.

M. Horkheimer, op. cit., p. 49.
1980.

Idem.
1981.

Emmanuel Regnault et Yves Sintomer, op. cit., p. 12.
1982.

Idem.
1983.

Idem.
1984.

Ibid., p. 14.
1985.

Ibid., p. 15.

2. L’art,
composante du projet critique et de la lutte politique


Au-delà même des options esthétiques choisies, les interrogations que posent le spectacle Veillons et armons-nous en pensée conçu par Jean-Louis Hourdin et François Chattot 1986 nous paraissent le constituer en manifeste dans lequel pourrait se reconnaître l’ensemble des artistes de la cité du théâtre de lutte politique. Ce spectacle, fondé sur un montage d’extraits du Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et Friedrich Engels, du Messager Hessois de Georg Büchner et du Manifeste de Bertolt Brecht, pose en effet de manière explicite la question de l’actualité du projet critique marxiste comme celle de l’articulation du projet critique à l’esthétique, et nous allons voir que ces questionnements se retrouvent chez la plupart des artistes, des projets et des spectacles qui ressortissent de la cité du théâtre de lutte politique, qui tous se situent dans une logique d’appropriation transformatrice du projet critique marxiste et notamment de son volet esthétique.

Notes
1986.

Spectacle créé du 3 au 23 septembre 2005 au Théâtre National de Chaillot avant de tourner en province dans des lieux moins prestigieux et parfois non théâtraux.

a. Le volet esthétique de la théorie critique :
acquis et remises en question contemporaines





b. Réorganisations de l’articulation
entre pratique artistique et lutte politique
à l’heure de la conversion des militants en sympathisants.

i. Les différentes raisons de la réarticulation
entre pratique artistique et lutte politique


L’ancienne articulation entre la pratique artistique et la lutte politique était liée à une proximité non seulement idéologique mais en termes d’appartenance, entre les militants de formations politiques et syndicales et les artistes « organiques » 1997 c’est-à-dire organiquement liés à la lutte politique non en tant qu’artistes mais en tant qu’ils appartenaient aux mêmes formations politiques. Rappelons d’ailleurs que cette appartenance n’impliquait pas nécessairement que les artistes en question fassent un théâtre ouvertement militant, puisque Jean Vilar ou Antoine Vitez à ses débuts étaient eux aussi encartés au PCF. Ce modèle a fait long feu nous l’avons vu 1998 , occasionnant de plus en plus souvent l’alternative entre la désertion pure et simple du champ politique et une prise de position paradoxale de l’artiste en tant qu’artiste, non pas au nom d’une compétence ni d’une appartenance mais d’une conscience spécifique, l’engagement se faisant non pas de l’intérieur de la lutte (en tant que « victime » subissant la situation dénoncée ou en tant que militant combattant aux côtés des victimes devenues elles-mêmes militantes par la lutte) mais du dehors, au nom d’un idéal et non d’une idéologie. C’est là le paradoxe de l’artiste engagé et plus encore de l’artiste citoyen, qui s’explique par le mouvement de dépolitisation des artistes comme du reste de la société civile, ainsi que par la dissolution du lien entre le monde artistique et le monde militant traditionnel. L’on retrouve chez les artistes engagés contemporains comme chez les nouveaux militants une tendance à l’implication personnelle forte, un engagement fondé sur la compassion, parfois physique voire sur un registre sacrificiel 1999 . Ainsi le théâtre préoccupé de « causes », terme alors souvent préféré à celui de luttes, peut aujourd’hui s’accommoder parfaitement d’un discours apolitique voire antipolitique, centré sur une critique de la classe politique (type « tous menteurs », « tous pourris » ). Christian Nouaux caractérise ainsi le théâtre d’intervention par
‘« une grande diversité d’objectifs, fraternité, entraide, solidarité, insertion, développement personnel, dénonciation individuelle et collective, rapprochement des marges…, mais pas de référence nette et commune à un ou des projets de changement de société comme après 1968. Et pourtant l’acte politique est présent chez chacune des troupes avec, comme supplément d’âme, une authentique attention à l’autre, à l’individu, ce que le théâtre d’intervention d’après 1968 avait tendance à négliger au profit du collectif. » 2000 ’
  • Chez les artistes comme chez les nouveaux militants, pointe le risque identique que succède à la tyrannie du nous celle du je, et par ailleurs que l’aspect ponctuel des coordinations et des convergences de luttes n’affaiblissent leur chances de remporter la lutte, dans des négociations basées sur le rapport de force. Le Théâtre du Levant, compagnie qui revendique l’appellation théâtre d’intervention, redoute ainsi « les actions de prise de conscience et de transformation individuelles qui n’offriraient pas dans le même temps un levier pour agir collectivement sur le changement social » 2001 , raison pour laquelle cette compagnie ressent la nécessité « d’œuvrer à la consolidation de ces multiples actes théâtraux aux objectifs divers, isolés ou morcelés en fonction des publics qu’ils touchent. [Le Théâtre du Levant] voudrait les faire converger, en dehors de toute récupération politique, vers la mise à nu d’un système socio-politique structuré qui se veut le seul viable et qui devrait […] être la seule cible de tous [les ] actes théâtraux. » 2002 Pourtant, certains artistes de théâtre – des metteurs en scène particulièrement – assument encore aujourd’hui une proximité idéologique marquée avec la gauche non seulement en tant qu’idéal mais également en tant qu’idéologie et en tant que force politique – en témoignent le soutien de certains artistes aux représentants du Parti Socialiste 2003 , ainsi que, quoique plus rarement il est vrai, la revendication d’une adhésion aux positions de l’extrême gauche et notamment du PCF, (c’est le cas d’André Benedetto ou Bernard Sobel notamment) et/ou d’une proximité avec ses représentants (le directeur du CDN d’Aubervilliers Didier Bezace n’hésite ainsi pas à afficher sa complicité politique avec le sénateur communiste Jack Ralite.) Cependant ce soutien de principe ne se traduit pas nécessairement par une articulation concrète de la pratique artistique à la lutte politique, aussi il importe d’établir une distinction entre les différentes modalités d’articulation de l’une à l’autre. Cette distinction est d’autant plus nécessaire que la diversité des modalités d’articulation entre pratique artistique et lutte politique découle de la diversité des causes défendues, et qu’elle induit des postures de l’artiste spécifiques. La première est celle du porte-parole, dans laquelle l’artiste prend la parole au nom de ceux qui ne peuvent pas le faire – il y a sur ce point une proximité évidente avec la cité du théâtre politique œcuménique 2004 , à ceci près que les principes au nom desquels les causes sont défendues sont ici non seulement moraux mais politiques et plus précisément politiquement clivés, comme nous le verrons concrètement dans le chapitre suivant. La seconde posture est liée à la défense d’une cause spécifique, celle du service public, défense de l’exception culturelle et de l’idée que tous les domaines d’activité – et particulièrement celui de la culture – ne sauraient être appréhendés sur le mode des secteurs marchands. Cette lutte est certes fondée sur la base de revendications catégorielles, mais les artistes entendent également se faire les porte-parole de la défense du service public à l’heure où le modèle marchand tend à remettre en question les fondements du modèle républicain – et l’on note sur ce point une proximité avec la cité du théâtre politique œcuménique et plus encore avec la cité de refondation de la communauté politique.
Mais de plus en plus, toute une frange du monde du théâtre se lie aux causes politiques sur une base renouvelée, qui est celle d’une proximité dans la revendication mais aussi dans la condition : l’artiste n’est en ce cas plus (uniquement) porte-parole, il fait partie de ceux qui sont directement concernés par la lutte. Le conflit des intermittents en 2003 peut ainsi être analysé à la fois en tant que lutte catégorielle, et comme lutte précise qui s’articule à une lutte plus globale portant sur les évolutions du monde du travail. La preuve en est que les intermittents rebaptisés « interluttants » se sont fédérés au sein de la « Coordination des intermittents et précaires d’Ile de France » (cip-idf). Et la compagnie Jolie Môme, l’un des piliers de la contestation, présente la lutte des intermittents comme l’un des exemples de la lutte contre « l'avidité patronale » 2005 , et précise que les intermittents sont par leur lutte « solidaires de tous les précaires, des travailleurs du privé comme du secteur public, des travailleurs sans travail, sans papiers! » 2006 Cela dit, une importante différence est à noter entre les « artistes précaires » 2007 et le reste des travailleurs précaires, qui tient au fait que les premiers définissent leur métier non seulement comme une condition professionnelle et sociale, mais comme une condition existentielle : l’artiste vit pour l’art indépendamment du fait qu’il vit de l'art – et quand bien même il en vit mal – c’est avant tout le « revenu psychologique » 2008 qui explique le choix des professions artistiques.

Cette articulation singulière du particulier (le système d’intermittence) au général (les évolutions actuelles du monde du travail) s’explique par le fait que ce que l’on nomme l’emploi culturel fait à la fois figure d’exception au système de gestion néolibéral du monde du travail, en tant qu’il s’appuie sur l’idée que la culture n’est pas une marchandise et se fonde sur la notion de service public, et figure de « laboratoire de la flexibilité » 2009 et des « métamorphoses du capitalisme » 2010 , par le biais de l’intermittence précisément. Cette relation ambivalente des arts et de l’économie capitaliste, à la fois contre-modèle et modèle, a été théorisée par Pierre-Michel Menger dans son Portrait de l’artiste en travailleur. Le caractère « extra-économique » 2011 de l’activité artistique, qui en fait le modèle du travail libre théorisé par Marx, ainsi que le rejet corollaire des valeurs bourgeoises qui tend depuis le XIXe siècle à faire de l’art un « agent de la protestation contre le capitalisme » 2012 par principe, s’accommodent pourtant aujourd’hui d’un fonctionnement qui met à l’honneur les principes de flexibilité et de précarité. Pierre-Michel Menger réinvestit sur ce point les travaux de Eve Chiapello et de Luc Boltanski qui démontrent que le nouvel esprit capitalisme, parce qu’il ne peut s’appuyer sur la contrainte des travailleurs non plus que sur leur unique intérêt économique réel, les mobilise en recourant à des valeurs – fondatrices de ce nouvel esprit du capitalisme – qui sont précisément empruntées au « travail expressif, telles les valeurs d’engagement, d’accomplissement de soi, d’identification personnelle à l’activité et à la performance » 2013 , tandis que, réciproquement, le travail artistique, pourtant dans son principe hostile au capitalisme, fonctionne concrètement comme son avant-garde. La mobilisation des intermittents du spectacle prend donc sa source dans des raisons multiples et en partie contradictoires – la dégradation des conditions de rémunération, la menace sur la pérennité du système de l’intermittence, et en même temps la critique, à travers cet exemple, du mode de gestion néolibéral caractérisé par l’externalisation des coûts pour les employeurs (grâce aux caisses 8 et 10 de l’assurance chômage), la disparition des solidarités entre des travailleurs isolés et en compétition permanente, la précarité et l’intermittence de l’emploi qui s’accompagne d’une grande exigence de disponibilité, d’implication par à coup, et l’importance croissante des logiques de réseaux – système que Luc Boltanski et Eve Chiapello décrivent comme la nouvelle « cité par projet ». 2014 Enfin, le mouvement des intermittents constitue un important noyau de réarticulation entre la pratique artistique et la lutte politique au sein du mouvement social non seulement en termes de causes mais également dans ses modalités de contestation.

Notes
1997.

Nous transposons ici l’expression « intellectuel organique » dans la mesure où les artistes peuvent être qualifiés d’intellectuels. Voir supra, partie II, chapitre 2, 3, b.
1998.

Voir supra, Partie II, chapitre 2, 2 et 3.
1999.

Voir supra, Partie II, chapitre 2, 2 et 3.
2000.

« France : Un théâtre d’intervention nouveau », Christian Nouaux, in Le théâtre d’intervention aujourd’hui, op. cit., p. 67.
2001.

Ibid, p. 72.
2002.

Idem.
2003.

Ariane Mnouchkine et Patrice Chéreau ont ainsi soutenu la candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007.
2004.

Voir supra, partie II, chapitre 1, 3, c et chapitre 2, 1, a.
2005.

Jolie Môme, «Les intermittents du spectacle en lutte », texte du site de la compagnie, consultable en ligne à l’adresse : www.cie-joliemome.org/cadres.html
2006.

Idem.
2007.

Nous transposons l’expression « intellos précaires » car les deux métiers sont extrêmement proches au regard de ces enjeux : les professions intellectuelles, comme les professions artistiques, parce qu’elles impliquent un travail créatif et épanouissant pour celui qui l’accomplit, se vivent comme des vocations emplissant de sens tous les aspects de l’existence, plus que de simples métiers. Voir Anne Rambach et Marine Rambach, Les Intellos précaires, Paris, Fayard, 2001.
2008.

Julie Jaffee Nagel, « Identity and career choice in music », in Journal of Cultural Economics, vol. 12, n°2, Décembre 1988, pp. 67-76.
2009.

Pierre-Michel Menger, Portrait de l’artiste en travailleur, La République des idées, 2004, p. 61.
2010.

C’est le sous-titre de l’ouvrage de Pierre-Michel Menger.
2011.

Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 13.
2012.

Ibid., p. 17.
2013.

Ibid., pp. 22-23.
2014.

Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 154 et suivantes.

ii. Les modalités contemporaines de l’articulation directe
entre pratique artistique et lutte politique





c. Jolie Môme ou la pluralité des statuts du spectacle
au sein de la lutte politique





d. Du théâtre d’agit-prop/théâtre militant/théâtre d’intervention
au théâtre de lutte politique.

i. Pourquoi les terminologies
théâtre d’agit-prop, théâtre d’intervention et théâtre militant
sont impropres pour décrire
la réalité du théâtre de lutte politique aujourd’hui





ii. NAJE, le Théâtre de l’Opprimé
entre théâtre de lutte politique et théâtre de refondation
de la communauté






e. Une question intempestive :
Le théâtre de lutte politique est-il forcément de gauche ?


Depuis le début de notre thèse nous n’avons analysé qu’un théâtre qui prend pour référent politique la gauche : quand le théâtre postpolitique considère qu’il n’y a plus d’espoir politique et anthropologique, c’est en référence à un projet politique d’émancipation, et les trois autres cités répondent à leur manière à la crise du projet critique et de la lutte politique de gauche. La cité du théâtre politique œcuménique leur substitue un référent moral inspiré des idéaux humanistes de la Révolution, au premier chef desquels la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et la devise « liberté, égalité, fraternité », et renouvelle de manière théorique l’ambition d’un théâtre citoyen, c’est-à-dire fondé sur les principes républicains, ce qui s’explique d’autant plus par le fait que ce théâtre d’art populaire est financé par l’État et les collectivités territoriales, et qu’il y va donc de l’image de la République Française. La troisième cité répond à la crise du projet critique en évitant de la poser, et entend refonder la communauté théâtrale et politique par une démarche essentiellement pragmatique basée sur le principe de la réciprocité, bien que les démarches en question s’inspirent d’une idéologie assez proche de celle à l’œuvre dans la deuxième cité et soit elle aussi liée aux collectivités publiques. Quant à la cité du théâtre de lutte politique, elle est par son histoire la plus directement liée à celle du mouvement révolutionnaire et aux partis et organisations de gauche et plus précisément encore d’extrême-gauche. C’est d’ailleurs ce qui pourrait de prime abord expliquer facilement un certain déclin de ces formes d’extrême-gauche, et l’on peut considérer à ce titre que si le théâtre populaire national est entaché par le spectre de la Shoah, le théâtre militant l’est par celui du Goulag. Il a pu exister un théâtre militant qui ne se situe pas primitivement sur le clivage gauche-droite – nous pensons ici aux théâtres régionalistes, mais ces revendications dont la plupart se sont crisallisées autour de Mai 68 ont toujours fini par s’inscrire dans ce grand clivage 2055 , mais parfois avec un positionnement inhabituel, comme a pu en témoigner au cours de l’histoire le cas du théâtre indépendantiste breton. 2056 Plus généralement, il a pu exister un théâtre militant pour les valeurs de la droite, et nous avons eu l’occasion d’évoquer les ambiguïtés du théâtre populaire de la Nation dans les années 1930-1940. Mais il semble précisément que le spectre de cette époque hante aujourd’hui encore le théâtre. L’on constate toutefois une évolution singulière sur notre période. Évidemment, nous l’avons dit, certaines questions, comme celle des discriminations et ce que l’on appelle les questions sociétales, qui faisaient jadis l’objet d’une lutte caractéristique de la gauche, font aujourd’hui consensus. De même nous avons pu voir dans notre troisième partie qu’officiellement, la droite lutte elle aussi contre les inégalités sociales, par le biais de la politique de la ville. Cependant il est une question qui aujourd’hui comme hier continue à démarquer sinon les partis, du moins l’idéologie de gauche et celle de droite : la question économique, et plus précisément la prise de position quant au capitalisme. C’est d’ailleurs du fait des ambiguïtés du plus important parti de gauche en France aujourd’hui sur cette question que la gauche traverse aujourd’hui une crise idéologique et politique dont l’origine remonte sans doute au début de la « parenthèse » de 1983. A l’inverse, l’idéologie de la droite s’est sur ce point décomplexée tout au long de notre période, et les élections de 2007 ont cristallisé cette évolution. Nous avons pu voir 2057 et nous verrons encore 2058 plusieurs exemples de spectacles qui prennent en charge un discours révolutionnaire de droite de façon ironique. Mais il existe également un théâtre qui défend au premier degré les valeurs néolibérales, quoique de manière extrêmement marginale au sein de la vie théâtrale française parce qu’extérieur au théâtre public, du fait tant de l’identité sociologique et « psychologique » pourrait-on dire des artistes de théâtre, que de l’histoire de l’institutionnalisation du théâtre comme catégorie d’intervention publique en France. C’est donc comme une exception que l’exemple du théâtre en entreprise nous paraît essentiel à analyser.

Comme la plupart des compagnies spécialisées dans le théâtre en entreprise, la compagnie Théâtre à la Carte 2059 se met au service de l’idéologie libérale et des valeurs de l’entreprise. La compagnie propose ainsi des interventions pour différents événements de la vie de l’entreprise : « événements internes » (« convention, réunion, assemblée générale, séminaire international, séminaire force de vente », des « célébrations » (« anniversaire, remise de prix, cérémonie des vœux, inauguration, hommage,… »), des « événements externes (« conférence de presse, lancement de produits, journée portes ouvertes, salon »). Et ces interventions peuvent porter sur différents thèmes, ainsi présentés sur le site de la compagnie : « Valeurs et projet d’entreprise, réorganisation interne, management, Qualité, sécurité, environnement, Relation clients, Confidentialité, Grands thèmes de société comme la diversité, le développement durable, les risques liés à l’alcool, etc. » Le théâtre est présenté comme un outil de communication très efficace, et l’utilisation du théâtre comme outil de propagande efficace et complémentaire d’autres outils ne peut que faire songer au théâtre d’agit-prop :
‘« Il y a vingt ans, le théâtre en entreprise ne fonctionnait pas bien car les entreprises n’étaient pas prêtes à se moquer de leurs comportements. Aujourd’hui elles pratiquent plus facilement l’autodérision. Le côté humain de l’entreprise est de plus en plus accepté : l’intelligence émotionnelle est reconnue depuis quelques années l’humour rentre dans les mœurs. Ce n’est pas anodin si Le Monde Economie nous a confié une chronique régulière où nous envoyons une photographie de l’entreprise avec un œil décalé. Dans nos formations à la prise de parole, nous aidons les personnes à se décontracter et à savoir introduire avec naturel, une petite dose d’humour bien placée. Le discours passe alors beaucoup mieux. Mais l’humour est un art de communiquer qui n’est pas donné à tout le monde. Il faut savoir trouver le bon dosage, l’alchimie. Dans la majorité de nos scenarii, nous essayons d’introduire de l’humour, dosé différemment selon les sujets. Nos saynètes passent par la caricature mais tout en restant plausibles. Les gens ne se sentent pas agressés mais peuvent se reconnaître sur certains points et se remettre en cause. L’humour permet de dédramatiser les situations et de véhiculer des messages. On constate que le théâtre d’entreprise permet une bonne appropriation et mémorisation des messages. Un an plus tard, on nous parle encore de nos interventions. J’ai le souvenir du personnage d’un de nos spectacles qui est même devenu une expression au sein de l’entreprise. » 2060 ’

Cet exemple permet de constater qu’il n’y a pas nécessairement de rapport d’implication entre la forme artistique et le contenu idéologique que défend un théâtre ou le projet politique dans lequel il s’inscrit : les compagnies de théâtre en entreprise 2061 véhiculent les valeurs de l’entreprise capitaliste en usant de la même conception du théâtre comme outil de propagande idéologique parmi d’autres et des mêmes techniques que le théâtre d’agit-prop (saynètes courtes, situations et personnages schématiques, utilisation du comique) et le Théâtre de l’Opprimé (théâtre-forum à base de mises en situation et d’improvisations.) Et réciproquement, nous allons voir dans notre second chapitre que le théâtre de lutte politique de gauche ne se caractérise pas par un modèle esthétique uniforme. Le cas du théâtre en entreprise demeure une exception tout à fait marginale, et le théâtre de lutte politique qui domine en France, et le seul qui soit reconnu par les pouvoirs publics tant au niveau local que régional et national est idéologiquement porteur des valeurs républicaines ou de gauche, jamais de droite. Du fait de cette appartenance commune, la catégorie « théâtre de gauche » et même « théâtre d’extrême gauche » s’est au cours de l’histoire révélée beaucoup trop large, car c’est en son sein que se trouvent les affrontements les plus violents. La notion de « théâtre d’intervention » a permis à une certaine époque de mettre en exergue la spécificité d’un certain théâtre au sein des grands mouvements de gauche, et notamment l’opposition qu’il constitue au tournant manifesté par le PC dès le milieu des années 1930 vers une conception universelle de la culture – tournant devenu ligne droite dont le tracé se poursuit dans les années 1970. Mais aujourd’hui, du fait de la crise du projet critique, de l’affaiblissement des structures partisanes anciennes et du redéploiement du mouvement social en de nouvelles structures et nébuleuses de structures dont la plupart émanent de la société civile, et sont plus lâches tant sur le plan de l’organisation que sur le plan idéologique, il semble que l’expression théâtre de lutte politique soit suffisante pour appréhender une telle réalité dans le cadre de la France de 1989 à 2007.

Notes
2055.

C’est le cas du théâtre occitan et notamment du Theatro de la Carriera.
2056.

L’histoire politique du théâtre breton est de loin la plus complexe. D’héritage très ancien, son histoire est fracturée par un trou noir autour des années 1940, puisque ce théâtre, tout comme l’ensemble du mouvement nationaliste breton, est entaché de complicité avec le nazisme, ce qui a contribué à le marginaliser. C’est donc en rupture affichée avec cette époque que le théâtre breton s’est revivifié dans les années 1970 dans le cadre des luttes indépendantistes et du mouvement de contestation sociale. Une compagnie comme Ar Vro Bagan a ainsi « participé activement » à ces « années glorieuses » « en apportant son soutien aux ouvriers, paysans, aux écoles diwan, aux marins, à la lutte anti-nucléaire, anti-marée noire, anti-tourisme à outrance, ou à la militarisation excessive de la Bretagne. » Le spectacle Mo c’helljen-me kanan laouen, créé en 1977 par la compagnie, revendiquait ainsi le qualificatif de « théâtre militant en langue bretonne. » Source : perso.orange.fr/avb/gallel/rep/Breizhaktufr.htm
2057.

Nous avons vu dans notre paragraphe précédent l’exemple de la BAC, et dans notre première partie l’exemple du spectacle Fées. Voir supra, Partie I, chapitre 4, 1, c.
2058.

Voir la mise en scène par Anne Monfort du texte de Falk Richter, Sous la glace. Voir infra, 3.
2059.

Source : Site de la compagnie Théâtre à la carte :
www.theatrealacarte.fr/
2060.

« Théâtre d’entreprise. Les entreprises pratiquent plus facilement la dérision. », Le Magazine Personnel, septembre 2006.
2061.

Nous n’avons cité que l’exemple de Théâtre à la Carte parce qu’il nous paraît emblématique du théâtre en entreprise qui nous intéresse non pas en soi mais à titre de comparaison permettant de mettre en lumière le socle idéologique commun à nos cités du théâtre politique.

Conclusion. Les spectacles,
instruments de lutte politique ou projet critique autonome ?


A partir de l’exemple de ce spectacle et de cette compagnie, nous voyons que plusieurs modes d’articulations de la pratique artistique à la lutte politique doivent être distingués – bien qu’ils puissent se superposer parfois – et tout d’abord sur le plan des objectifs poursuivis. La compagnie Jolie Môme fait fusionner le projet artistique et le projet de lutte politique, mais d’autres compagnies peuvent établir un rapport de hiérarchie entre ces deux projets. Ainsi certaines compagnies se définissent prioritairement par leur orientation politique, tandis que d’autres font de la pratique artistique l’alpha et parfois aussi l’omega de leur engagement. Et cette divergence de hiérarchie dans l’articulation des objectifs politique et artistique va logiquement de pair avec une divergence dans les modalités de l’articulation. Les compagnies peuvent participer concrètement aux luttes, ou considérer que leurs spectacles constituent à eux seuls une modalité de lutte suffisante, sans qu’il soit besoin de participer concrètement au mouvement social. A ce titre il importe de distinguer d’établir une distinction entre plusieurs types de spectacles. Certains participent à la lutte politique parce qu’ils sont représentés dans le cadre de manifestations politiques. Cette condition nécessaire n’est cependant pas suffisante, et rares sont les spectacles sans contenu politique qui sont joués dans ce cas (à l’inverse des spectacles de la cité de refondation de la communauté théâtrale et politique.) Les spectacles de lutte politique le sont presque toujours par leur contenu intrinsèque, qui peut d’ailleurs constituer l’unique modalité de la participation à la lutte politique. En ce cas, l’on peut considérer que le spectacle est un relais de la lutte plus que l’une de ses modalités, et qu’il participe plus directement au projet critique, dont la lutte proprement dite n’est que l’un des aspects. Cette question débouche directement sur celle du dispositif dramaturgique et scénique du spectacle de lutte politique. A la différence de la cité du théâtre postpolitique qui tend à considérer qu’il ne saurait plus y avoir de révolution que formelle 2062 , les pratiques artistiques inscrites dans la cité du théâtre de lutte politique renouvellent l’articulation de la révolution formelle à un projet d’émancipation politique, aussi complexe et difficile à penser et à mettre en place soit-il du fait des évolutions du contexte politique depuis 1989.

Notes
2062.

Voir supra, Partie I, chapitre 3 et chapitre 4, 1, c (analyse du spectacle Fées) et d (analyse du spectacle Les Marchands).

Un autre monde est possible et un théâtre de lutte politique aussi

Si elle peut indubitablement être interprétée comme symbole de la fin d’une ère dans laquelle le projet critique et le modèle politique révolutionnaire étaient articulés de manière évidente, l’année 1989 coïncide avec un renouveau de la contestation politique, de son contenu idéologique comme de ses modalités d’action, et les artistes et notamment les artistes de théâtre, participent de ce renouveau à des degrés divers. Refusant le pessimisme anthropologique et politique et le fatalisme découlant de l’idée d’une fin de l’histoire et d’un choc des civilisations, cette interprétation alternative de la période 1989-2007 s’appuie sur une définition de la politique entendue comme double processus de montée en généralité et de conflictualisation articulé à un projet d’émancipation individuel et collectif. Certes, la refondation du projet critique implique une labilité de certains de ses nouveaux fondements comme des réorganisations de l’articulation du projet critique à la lutte politique. Certes cette labilité implique à son tour des reformulations dans les modalités de cette lutte politique, et la dimension festive prend parfois le pas sur la cohérence idéologique. Cependant l’idée demeure chez certains qu’un autre monde est possible, c’est-à-dire qu’il est possible de transformer le monde existant, dans un contexte certes aggravé, mais qui n’implique ni posture désenchantée ni vision nostalgique. La nébuleuse altermondialiste, qui articule anciennes et nouvelles organisations et revendications, constitue à la fois un mouvement social et la reformulation en acte d’une théorie critique, selon un processus rhizomatique qui préfère l’immanence empirique à la cohérence conceptuelle globale a priori. 2063 Et le théâtre de lutte politique s’inscrit pleinement dans ce projet critique et dans cette lutte politique renouvelés selon des modalités diverses, parmi lesquelles les spectacles proprement dits occupent une place de choix aux côtés de la participation des artistes à des actions politiques indépendantes ou partisanes. Outre la participation directe des artistes à telle ou telle mobilisation, certains spectacles sont articulés de manière plus lâche à la lutte politique et participent plus directement au projet critique, en tant que forme-sens visant à provoquer une prise de conscience chez le spectateur et remplissent donc une mission de sensibilisation, préalable nécessaire à la mobilisation politique, que vient parfois compléter un débat organisé à l’issue de la représentation. Ce sont ces spectacles que nous souhaiterions à présent analyser dans leurs options esthétiques (dramaturgiques et scéniques) comme dans leurs choix thématiques et dans leur mode de production et de diffusion.

Notes
2063.

Si la toute fin de la période coïncide avec un certain reflux du courant altermondialiste et de la gauche de la gauche, du fait notamment de l’échec d’une candidature unitaire à l’élection présidentielle de 2007, l’absence de recul temporel interdit d’interpréter cet échec, aussi cuisant soit-il, comme un essoufflement significatif de cette aspiration.

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